Marshall Rosenberg et la justice restaurative : Différence entre versions
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Version du 8 février 2015 à 23:36
Sommaire
Démonstration du rôle du médiateur (facilitateur) à Londres, le 13 juin 2002
Transcription d'un jeu de rôle :
- « Justice réparatrice entre victime et auteur d'abus sexuels »
Présentation du contexte
Dans ce jeu de rôle, Marshall montrait comment un médiateur peut utiliser la CNV pour aider tant la victime que le criminel, à atteindre un niveau où guérir de leur douleur respective devient possible.
En tant que médiateur, il a fait référence à la demande que la victime serait invitée à faire au criminel, mais sans la détailler. Il a aussi reconnu tout le travail que le criminel pourrait avoir à faire pour se mettre en contact avec ses sentiments et ses besoins au moment des faits, avant de participer à la "rencontre" avec la victime.
Marshall jouait trois rôles :
- le médiateur en justice réparatrice
- la victime d'abus sexuels
- l'auteur d'abus sexuels
CNV et justice réparatrice : étapes du processus
Étape 1 : Avant la réunion, le médiateur amène l'auteur d'abus sexuels à s'exprimer en termes de sentiments et de besoins et à entendre les sentiments et les besoins derrière ce que la victime peut dire. Dans la mesure du possible, le médiateur amènera la victime à faire de même.
Le temps nécessaire pour y arriver variera d'une personne à l'autre.
Étape 2 : La victime exprime la douleur qu'elle sent en lien avec les actes du criminel. Grâce au soutien du médiateur, l'auteur d'abus sexuels reflète à la victime tous les sentiments encore vivants en elle, liés aux actes qu'il a perpétrés.
En Communication non violente, on appelle cela donner de l'empathie. Ce processus peut prendre un certain temps, mais il est nécessaire de le poursuivre jusqu'à ce que la victime éprouve clairement la satisfaction d'être pleinement comprise. Tant que cela n'arrive pas, nous pouvons prédire que la victime ne sera pas capable d'entendre les sentiments et les besoins du criminel, et cela limitera la profondeur du processus de guérison.
Étape 3 : Le criminel va explorer au fond de lui les sentiments qu'il éprouve; il les exprime ainsi que les besoins personnels auxquels il n'a pas répondu en posant cet acte.
En Communication NonViolente, c'est ce que l'on appelle un processus de deuil. Et c'est fondamentalement différent d'un quelconque moyen qui encouragerait le criminel à ressentir de la culpabilité ou de la honte.
Étape 4 : Le criminel dit ce qui se passait à l'intérieur de lui quand il a agi ainsi, c'est-à-dire exprimer les sentiments et les besoins qui l'ont amené à agir comme cela. Il ne s'agit pas de donner des explications ou des justifications de ce qu'il a fait: par exemple, «parce que j'ai été abusé étant enfant». La victime reflète au criminel les sentiments et les besoins qui étaient vivants en lui, et qui l'ont amené à agir comme il l'a fait.
Autrement dit, la victime donne de l'empathie au criminel. L'étape 4 donne les fondations d'un nouveau travail de reconstruction pour le criminel : elle l'aider à trouver des façons nouvelles, plus constructives, de satisfaire ses besoins à l'avenir.
Étape 5 : La victime et le criminel se font des demandes spécifiques l'un à l'autre.
Nous croyons qu'il est essentiel que le médiateur vérifie si l'un ou l'autre a besoin de passer par cette étape, pour que le processus de guérison soit complet.
Ce cycle d'empathie et de compréhension pour la douleur de la victime, de deuil pour les actes du criminel, et de compréhension de comment le criminel en est arrivé à faire ça, maximise la chance de guérison pour les deux parties.
Transcription
Ma préférence est, si nous en avons la possibilité, de réunir la victime et le criminel.
Disons que la victime est une femme qui a été violée. Il y a deux ingrédients : expression du coeur et empathie. Voici à quoi cela va ressembler. La première chose que je vais faire c'est d'amener le criminel à se relier de manière empathique avec ce qui est vivant chez la victime. Je donne à la victime une chance de s'exprimer et de recevoir de l'empathie de la part du criminel.
La plupart du temps, quand les gens veulent punir quelqu'un, je pense que le besoin qu'il y a derrière cela - la punition - est une stratégie et non pas un besoin. Je pense qu'un de leurs besoins est que l'autre personne sache comment ils ont souffert. Mais où cela est-il possible dans notre société ? Les gens ne pensent qu'à une chose: qu'on les prennent pour des victimes - et il ne se passe rien - ou à la punition. Ce sont les deux seules options que nous voyons. Je serais curieux de voir une victime qui, après avoir vécu ce que je vais vous montrer maintenant, aurait encore envie de voir l'autre être puni. Les victimes, tout ce qu'elles veulent la plupart du temps, c'est voir l'autre personne souffrir.
Voilà ce que je vais faire. Je vais commencer en aidant ce criminel à donner de l'empathie à la personne qu'il a violée. (NB: cela correspond à l'étape 2)
La victime: Savez-vous ce que ça fait d'être maintenue et de subir ça ? Savez-vous combien j'ai souffert ? Combien c'est horrible ? Espèce de monstre, espèce de salaud. J'aimerais vous voir mort.
Le médiateur au criminel: Je veux que vous vous remettiez en lien avec ce qu'elle est en train de vous dire. Qu'est-ce qu'elle ressent en ce moment ?
Le criminel: Je suis désolé.
Le médiateur au criminel: Pas des excuses. Les excuses sont trop pauvres. Je veux que vous lui disiez ce que vous l'avez entendue dire qu'elle ressent.
(Pause)
Le médiateur au criminel: Je vais vous dire ce que j'ai entendu et ensuite je veux que vous le répétiez.
Le médiateur à la victime: Si je vous ai bien entendue, vous avez plein de sentiments. Vous êtes en colère qu'une chose pareille puisse vous arriver et vous voulez aussi de la compréhension pour la frayeur que vous avez eue en subissant ça.
La victime: Il n'y a pas que cela, ça c'est passé il y a deux ans et il ne se passe pas un jour de ma vie sans que je n'en souffre encore.
Le médiateur à la victime: Donc, en plus de cela, vous voulez de la compréhension pour toute cette souffrance toujours présente au quotidien, pour la crainte qui reste en vous.
La victime: Oui
Le médiateur au criminel: Bien. Pouvez-vous redire ce que vous avez entendu de ces sentiments. Qu'est-ce qu'elle ressent et de quoi a-t-elle besoin ? (Pause) Vous voulez que je le redise ?
Le criminel: Non, laissez-moi essayer. (À l'adresse de la victime) Vous pensez que je suis un monstre.
Le médiateur au criminel: Ça c'est la partie facile. Je veux que vous entendiez ses sentiments et ses besoins. Quels sentiments et besoins vous exprime-t-elle ?
Le criminel: Elle est furieuse. Elle veut que je sache ce que c'était d'être violée, et d'être maintenue.
Le médiateur au criminel: Quoi d'autre ?
Le criminel: Je ne sais pas.
Le médiateur au criminel: Laissez-moi vous raconter ce que je l'entends dire d'autre. Elle veut que vous entendiez comme elle était terrifiée, combien cette terreur reste en elle, et que depuis, il ne s'est pas passé un jour sans douleur pour elle. Redites-le.
Le criminel: Elle a été terrifiée à ce moment là, et depuis elle vit de la terreur chaque jour.
Le médiateur à la victime: Est-ce que c'est ça que vous vouliez qu'il entende ?
La victime: Plus que ça, plus que ça.
Bien, donc nous continuons pendant un moment. Cette douleur peut être très profonde, donc j'aide le criminel à entendre cela. Ça c'est la première étape. Jusqu'à ce que cette personne se sente entièrement comprise.
Le médiateur à la victime: Vous sentez-vous comprise?
La victime: Oui.
Maintenant la prochaine chose que je vais faire c'est d'aider le criminel à faire son deuil – pas faire des excuses, faire son deuil. Faire son deuil exige d'aller au plus profond de soi. L'excuse est pauvre. C'est facile de dire qu'on est désolé, mais qu'est-ce que ça signifie ? Les gens ont appris depuis qu'ils ont été enfant, qu'on dit ça juste pour être pardonné. Il n'ont besoin de mettre aucune sincérité, aucun réel sentiment là dedans. Mais dans ce que nous appelons le deuil, nous voulons que cette personne explore ce qu'il y a au fond d'elle. (NB: cela correspond à l'étape 3)
Le médiateur au criminel: Alors dites-lui ce que vous ressentez là tout de suite, en ayant conscience de ce à travers quoi elle est passée.
Le criminel: Je pense que je devrais être puni.
Le médiateur: Pas ce que vous pensez qu'il devrait vous arriver – ce que vous ressentez là, maintenant.
Le criminel: Ce que je ressens, c'est que je suis un salaud.
Le médiateur: De vous insulter n'est pas la réponse. Je veux que vous alliez à l'intérieur de vous et que vous me disiez comment vous vous sentez.
Le criminel: Ne me faites pas faire ça.
Le médiateur: C'est terrifiant d'aller à l'intérieur et de voir vraiment comment on se sent d'avoir fait quelque chose comme ça. C'est tellement plus facile de vous insulter vous-même... Ou de dire qu'elle l'avait cherché, ou de vous justifier. Ça c'est facile, mais d'aller à l'intérieur après avoir vu comment l'autre personne a souffert, d'aller à l'intérieur et de vraiment exprimer comment vous vous sentez: ça, c'est effrayant. Donc je veux que vous alliez à l'intérieur et que vous me disiez comment vous vous sentez maintenant que vous voyez comment elle a souffert.
Le criminel: Je suis triste. Je suis triste.
Le médiateur: Quels besoins chez vous n'ont pas été satisfaits par votre comportement ?
Le criminel: Ce n'est pas comme ça que je veux traiter les gens. Non c'est pas comme ça que je veux traiter les gens.
Bien, voilà ce que nous appelons faire son deuil. Je raccourcis, mais c'est ça faire son deuil: aller à l'intérieur et regarder vraiment comment vous vous sentez d'avoir fait ça; et relier cela à vos besoins – les vôtres – qui n'ont pas été satisfaits par vos propres actions. Ça c'est beaucoup plus effrayant mais plus sincère qu'une excuse.
(NB: La partie suivante correspond à l'étape 4 dans le résumé ci-dessus.)
Le médiateur au criminel: Maintenant je veux que vous lui disiez ce qui se passait en vous quand vous avez fait ça. Q'est-ce que vous resentiez quand vous l'avez fait. Lesquels de vos besoins essayiez-vous de satisfaire quand vous l'avez fait ?
Ce qui est intéressant à remarquer chez la victime à ce moment là, c'est qu'avant même que je ne le demande, après qu'elle a reçu de la compréhension pour sa souffrance, presque toujours, elle crie quelque chose comme : Comment avez vous pu faire ça ? Comment avez vous pu faire ça ?
Pour que la guérison puisse avoir lieu, nous avons d'abord besoin de véritable empathie, de compréhension, mais ensuite nous avons aussi besoin de savoir « comment cette personne a pu faire ça ? ». Parce que jusqu'à ce que nous puissions vraiment comprendre l'autre et voir pourquoi il a fait ce qu'il a fait, nous ne pouvons pas lui pardonner, et nous ne pouvons pas guérir tant que ne nous ne lui avons pas pardonné.
En fait, en CNV, l'empathie et le pardon sont de même nature. Quand nous donnons de l'empathie, il n'y a rien à pardonner. Mais nous soulignons aussi ceci dans notre travail: n'amenez pas trop vite la victime à comprendre l'autre personne. Presque dès le départ et tout au long de leur vie, quelques personnes les ont encouragées à pardonner, comprendre l'autre personne. Et si elles le font avant la première partie, avant qu'elles ne soient entièrement comprises dans leur souffrance, la compréhension qu'elles donnent à l'autre personne ne peut qu'être superficielle. Et cela les coupe de leur propre guérison. Mais quand elles ont reçu la compréhension dont elles avaient besoin, d'habitude elle désirent ardemment comprendre ce qui a bien pu se passer chez l'autre personne quand elle a fait ce qu'elle a fait.
Le médiateur au criminel: Donc je veux que vous lui disiez maintenant ce qui se passait en vous au moment vous le faisiez. Qu'est-ce qui se passait ?
Et maintenant j'aide le prisonnier à identifier et articuler quels sentiments et besoins étaient vivants en lui quand il l'a fait. Et ensuite je demande à la victime de rentrer en empathie avec cela, pour qu'elle me dise en retour ce qu'elle entend qui se passait en lui quand il l'a fait. Que ressentait-il ? De quoi avait-il besoin ?
Quand cela arrive, la transformation réalisée est étonnante. A ce niveau, ces deux personnes sont rejointes d'une telle manière que l'étape suivante sera beaucoup plus facile. L'étape suivante est maintenant le processus réparateur. De quoi ont besoin les deux parties pour se sentir guéries ? La question est simplement: quelles demandes réciproques ont-elles l'une pour l'autre maintenant ?
Donc voilà un rapide aperçu de comment nous pratiquons la justice réparatrice avec la CNV.
Question de l'auditoire: Quelle est la différence entre des excuses et le travail de deuil ?
Voilà ce qui se passe d'habitude :
Le criminel: Je suis désolé, je suis un salaud. Tuez-moi.
Le médiateur: Ça c'est ce que j'appelle une excuse – dire « j'ai tort, je mérite de souffrir ». Ça c'est la manière dont les gens ont été éduqués. Depuis combien de temps pensez-vous que vous êtes un salaud ?
Le criminel: Ma vie entière.
Le médiateur: Est-ce que ça vous a empêché de faire ça ?
Le criminel: Non.
Le médiateur: Je ne vous demande pas ce que vous pensez que vous êtes. Je veux savoir comment vous vous sentez. Comment vous sentez-vous ?
Le criminel: Je suis désolé.
Le médiateur: Non, ce mot ne me dit rien. Vous avez probablement déjà dit que vous êtiez désolé de tout ce que vous avez fait. Vous avez probablement été éduqué à dire ça machinalement. Si quelqu'un pense que vous avez tort, vous dites que vous êtes désolé et ensuite vous êtes pardonné. Non, c'est trop facile. Je veux que vous alliez à l'intérieur de vous et que vous me disiez vraiment comment vous vous sentez maintenant que vous voyez qui souffre.
Presque toujours, ils disent « ne me faites pas faire ça ». C'est douloureux d'aller à l'intérieur et de voir vraiment quelle souffrance c'est d'avoir fait des choses à une autre personne. Ce n'est pas de la honte. La honte vient d'une violence faite à soi-même – en pensant que ce que vous avez fait était mal. Ça c'est trop facile. La honte est trop superficielle. Et c'est une forme de violence vers soi. Je veux que cette personne entre en elle et souffre naturellement, mais profondément. C'est un sentiment naturel quand nous voyons que nous avons fait quelque chose qui n'a pas servi la vie. Nous avons des sentiments forts, mais jamais la honte ou la culpabilité. Les sentiments sont souvent une tristesse profonde. Un désespoir profond. Une crainte profonde. Très souvent c'est : « Je suis effrayé à mort à l'idée que je pourrais avoir fait quelque chose comme ça à quelqu'un. » Des sentiments vraiment profonds. Mais pas de honte ou de culpabilité.
La honte et la culpabilité viennent de la violence envers soi-même. En pensant que ce que vous avez fait veut dire qu'il y a quelque chose de mal en vous.
Le criminel: Mais enfin il y a bien quelque chose qui ne va pas chez moi. Regarde ce que je lui ai fait.
Le médiateur: Nous viendrons plus tard à pourquoi vous l'avez fait. C'est trop facile de penser qu'il y a quelque chose qui ne va pas chez vous. Je veux que vous alliez à l'intérieur maintenant et que vous me disiez comment vous vous sentez de l'avoir fait. Je ne veux pas vous entendre vous juger vous-même. De vous juger vous-même va seulement vous rendre plus violent. Je veux que vous en fassiez votre deuil, je ne veux pas que vous fassiez des excuses.
Et ensuite après le deuil, nous allons à l'intérieur et puis nous donnons de l'empathie aux raisons pour lesquelles la personne l'a fait. Vous voyez, la raison pour laquelle une personne fait cela, c'est toujours pour répondre à un besoin humain, à un ou plusieurs besoins.
Maintenant, très souvent dans le travail que nous faisons en prison, nous n'avons pas les victimes présentes. Donc je joue le rôle de la victime et le travail que nous faisons avec les prisonniers doit les amener à entrer en empathie avec leurs victimes, à jouer ce jeu de rôle pour réaliser l'intégralité du processus même quand nous n'avons pas accès aux victimes. Mais nous voulons qu'ils rentrent en empathie avec la souffrance créée par leurs actes. Nous voulons qu'ils en fassent le deuil et ensuite nous voulons qu'ils se pardonnent en étant complètement en empathie avec les autres besoins qu'ils essayaient de satisfaire en faisant ça. Il ne s'agit pas de justifier le comportement. Cela signifie juste que quand ils peuvent voir les bonnes raisons pour lesquelles ils l'ont fait – les bonnes raisons ça veut dire qu'ils faisaient du mieux qu'ils pouvaient pour répondre à des besoins humains – alors nous pouvons commencer à essayer de trouver d'autres façons de satisfaire ces besoins qui ne passent pas par violer d'autres personnes.
Procédure de transcription et de traduction
- Transcrit par Jo McHale d'un enregistrement par Beauchamp Bagenal.
- Première tentative de traduction en français par Nathalie et Dieudonné Dard.
- Procédure de traduction initiée par Godfrey Spencer
Liens externes
- Premières publications :