Harcèlement dans un lycée
Sommaire
La situation initiale
Le 21 janvier2014, j’ai eu un entretien avec Mme C., professeur principale de la classe de 2nde 3 et M. P., proviseur adjoint en charge de cette classe. Mme C. était très soucieuse et était venue chercher aide et conseil auprès de M. P.. Celui-ci m’avait convié à l’entretien, car ma collègue CPE qui suivait effectivement la classe était sur le point de partir en congé maladie pour une opération assez grave et serait vraisemblablement absente un mois ou deux.
L’affaire qui amenait Mme C. avait éclaté la veille. Dans la matinée, elle avait eu un appel d’un parent d’élève faisant état de « harcèlement » de la part d’élèves de la classe. Puis l’après midi lors d’une heure de français en demi-groupe, les élèves de la 2nde 3 lui avaient dit que le comportement de deux jeunes-filles de la classe devenait extrêmement gênant et perturbant. Elles se moquaient ouvertement de beaucoup d’élèves et leurs propos vexants et dévalorisants en étaient même arrivés à faire souffrir de manière importante trois ou quatre élèves. Dans la journée, elles avaient particulièrement poursuivi de leurs moqueries et vexations une élève de la classe et celle-ci s’était écroulée en larmes en cours. Voyant cela, les élèves du groupe 2 avaient décidé de tout dire à leur professeur principal en fin de journée. Et cela d’autant plus librement que les deux jeunes filles incriminées ne faisaient pas partie de ce groupe.
En entendant la description des faits, et notamment en constatant qu’une grande partie de la classe se sentait concernée, j’ai proposé à Mme C. et M. P. d’utiliser les « cercles restauratifs » pour gérer cette situation.
Le choix des Cercles restauratifs
Les Cercles Restauratifs sont une forme de justice restauratrice. Ils ont été développés par Dominic Barter, un enseignant d’origine anglaise, vivant au Brésil[1]. Or, l’un des moyens mis en avant ces derniers temps pour traiter des problèmes de harcèlement à l’école est précisémment le recours à la justice restauratrice[2]. Comme le dit Eric DEBARBIEU, il s’agit « de savoir comment réparer à la fois la victime et l’agresseur. Il faut absolument que du côté de l’agresseur il y ait une prise de conscience réelle sur ce qui s’est passé, une longue discussion sur le sujet et une véritable justice alternative »[3]
Or, la justice réparatrice permet une réelle prise de conscience par l’auteur de l’acte[4] des conséquences de son acte, en particulier de la souffrance de la personne qui a reçu l’acte. D’un autre côté, pour le receveur de l’acte, pouvoir exprimer sa souffrance et qu’elle soit entendue par l’auteur est très réparateur. Enfin, autre avantage, dans les Cercles Restauratifs, toutes les personnes impactées par l’acte sont prises en compte. Or, sans être les « victimes » directes des deux jeunes filles, de nombreux élèves de la classe se sentaient concernés par ce conflit et il me semblait important de les associer à la résolution de celui-ci.
M. P. a donc validé le recours aux cercles restauratifs comme forme de résolution du conflit. Quant à moi, je me sentais capable de le mettre en œuvre. Je connaissais assez bien cet outil pour faire partie depuis deux ans du groupe de recherche et de pratique des cercles restauratifs de Bordeaux. De plus, je venais de participer à la session sur les cercles restauratifs menée par Dominic BARTER à Gradignan (lycée des Graves) les 18 et 19 janvier.
Les avant cercles
Dans les avant cercles, le facilitateur (moi en l’occurrence) rencontre séparément l’auteur de l’acte, le receveur de l’acte, et les personnes de la communauté impactées par l’acte.
J’ai donc rencontré d’abord Mme C., le professeur principal de la classe qui était pour moi l’initiatrice du cercle. Avec elle nous avons précisé l’acte à propos duquel le cercle allait se dérouler. Je lui ai offert une écoute empathique. Et je lui ai demandé quelles étaient selon elle les personnes nécessaires à la résolution de ce conflit. Elle a désigné les deux élèves auteur de l’acte, la jeune fille qui avait craqué le jour où le groupe 2 lui avait parlé de ce problème et deux autres jeunes filles de la classe qui s’étaient exprimé ce jour là et avaient aussi partagé leur souffrance. Je lui ai décrit le processus du cercle restauratif. Finalement, je lui ai demandé si elle avait envie de poursuivre et elle a acquiescé.
J’ai ensuite reçu toutes les personnes désignées par Mme C. en leur offrant la même écoute empathique pour qu’elles se sentent entendues dans ce qu’elles ont vécu. Je leur ai aussi demandé quelles étaient les personnes nécessaires à la résolution de ce conflit et si elles avaient envie de poursuivre.
J’ai ainsi reçu, entre le 21 janvier et le 10 février 19 personnes. 15 ont choisi de continuer et de participer au cercle restauratif.
Pour m’aider et me soutenir, et comme le prévoit le processus, j’ai également choisi des co-facilitateurs parmi les membres de la communauté (ici assimilée au Lycée) : Laurence M. l’infirmière scolaire du lycée et Nathalie D, intervenante dans l’établissement[5]. Ces deux personnes avaient en effet également participé à la session sur les cercles restauratifs menée par Dominic BARTER à Gradignan et étaient donc formées à cet outil. J’ai ainsi pu bénéficier moi aussi d’un avant cercle assuré par Nathalie DARD[6]. J’ai pu notamment y vérifier ma neutralité par rapport à chacun des participants.
Le Cercle
== Il s’est réuni le 10 février 2014 à 9H15. Il regroupait les auteurs de l’acte, les receveurs de l’acte et les personnes de la communauté impactées par l’acte. Soit 15 personnes dont un professeur et quatorze élèves de la classe[7], auxquels il convient d’ajouter les trois facilitateurs.
Le cercle comporte trois temps.
- Le premier permet à chaque personne
d’exprimer ce qu’elle vit en relation avec l’acte et amène à une compréhension mutuelle
- Le second permet à chaque personne d’exprimer
ce qui l’a amenée à agir comme elle l’a fait et amène à l'auto-responsabilisation de chacun
- Le troisième permet la mise en place d’un
plan d’action par la décision d’actes de réparation (sur le plan matériel) et de restauration (sur le plan relationnel), avec un échéancier précis pour leur réalisation et la décision de la date de l’après cercle
Le cercle a duré presque trois heures. Durant cette période les receveurs de l’acte ont pu exprimer toute la souffrance qu’ils avaient endurée. Certains membres de la communauté ont également pu exprimer leur désarroi et leur sentiment d’impuissance devant les faits ainsi que leurs regrets de n’être pas intervenus plus tôt et plus clairement. Les auteurs de l’acte ont accusé réception des souffrances endurées par les élèves de leur classe et ont commencé à exprimer eux aussi la manière dont ils avaient vécu les choses. L’étape de compréhension mutuelle a donc pu être largement entamée.
Néanmoins, la phase d’auto-responsabilisation, celle qui permet à chacun de dire ce qu’il recherchait au moment où il a choisi d’agir, n’a pas été complète. Elle a été largement amorcée par les receveurs de l’acte et certains membres de la communauté, mais pas vraiment par les deux jeunes filles auteurs de l’acte.
Le plan d’action a donc consisté à proposer de se réunir à nouveau au retour des vacances de février pour terminer le processus entamé.
Fin du processus
Malheureusement, le 2 mars, la veille de la rentrée j’ai du annuler le cercle car j’étais totalement aphone et donc incapable de faciliter. Il a été reporté au 10 mars.
Le 10 mars, j’ai constaté que seules sept personnes étaient présentes : Mme C., les trois élèves receveurs de l’acte, et trois élèves moins touchées. Mais les auteurs de l’acte n’étaient pas là. Le cercle n’a donc pas pu avoir lieu.
J’ai utilisé ce temps pour demander aux personnes présentes comment elles se sentaient actuellement. Chacune a pu s’exprimer. Elèves et professeur se sentaient bien, ils constataient que les faits à l’origine du cercle avait complètement cessés. Les jeunes filles qui avaient le plus souffert des actes mis en place par les deux élèves se sentaient désormais en sécurité au sein de la classe.
J’ai vérifié ensuite qu’elles sauraient quoi faire si de tels faits recommençaient et chacune a exprimé à qui et comment elle demanderait de l’aide en cas d’incident similaire. Leurs réponses étaient claires, spontanées et tout à fait opérantes.
Je leur ai alors demandé si elles avaient d’autres demandes concernant ce conflit. Elles ont exprimé qu’elles demeuraient inquiètes que les deux jeunes filles recommencent leur agissements pas tant sur elles mais sur d’autres à l’avenir. En effet, les élèves présentes ont pointé que ces jeunes filles avaient minimisé leurs actes et surtout leurs conséquences et n’avaient pas pris leur part de responsabilité. J’ai donc demandé si elles avaient des suggestions pour pallier cela, ou en tout cas si elles avaient l’idée de quelque chose qui pourrait être fait pour les soulager de cette inquiétude.
Après discussion, il a été proposé que je rencontre séparément les deux jeunes-filles pour leur faire part de l’inconfort et de l’inquiétude de leurs camarades.
J’ai donc convoqué les deux élèves. A chacune, j’ai exprimé la frustration de leurs camarades de ne pas s’être senties complètement entendues dans leur souffrance et leur inquiétude de les voir répéter leurs actes.
Ces deux élèves ayant fait état de souffrances passées pour lesquelles elles n’avaient pas trouvé d’écoute ni d’empathie, je leur ai aussi demandé si elle avait pu partager un peu de ce passé douloureux après le cercle. Chacune avait effectivement pu trouver un interlocuteur pour être entendues.
Reprise des craintes de harcèlement
Le lundi 19 mai 2014, quatre élèves de 2nde 3 et leurs mères ont demandé à être reçues de manière impromptue à 15H30. Je les ai donc reçues mais sans pouvoir leur accorder tout le temps et l’espace que j’aurais souhaité, ayant un rendez-vous important prévu à 16H00.
Ce sont essentiellement les mères qui se ont exprimées : tout s'était vraiment calmé avec les deux jeunes-filles mais depuis le retour des vacances de Pâques, elles avaient repris leurs mauvaises habitudes et faisaient des réflexions désagréables et dévalorisantes en cours et hors cours, devant et par derrière surtout. Les élèves présentes ont alors dit leur extrême malaise de les voir renouer avec leurs anciennes pratiques. Leurs mères ont exprimé une réelle inquiétude.
J’ai donc informé Mme C. et Sophie B. – ma collègue en charge de la classe – de ces derniers faits.
Nous avons décidé de recevoir séparément les deux jeunes filles accompagnées de leurs parents.
Les deux rendez-vous auront lieu le 26 mai et ont été conduits par Mmes C., B. et moi-même. D’abord sur la défensive, les deux mères ont fini par adopter une position congruente avec celle des autres parents, prenant conscience du malaise que vivait les autres élèves.
Ce revirement a d’ailleurs été rendu possible lorsque chacune d’entre elle a réalisé que l’établissement avait vraiment pris soin de leur fille en mettant en place un cercle restauratif. L'opportunité d'un règlement du conflit qui prenne en compte chacun leur avait été proposée.
Les deux mères ont donc bien compris et accepté le recours à la sanction qui était mise en place devant la récidive. Un avertissement a en effet été posé pour chacune des jeunes filles par le Proviseur adjoint, M. P.. Les élèves et leur famille en ont été avisés ce jour là.
Notes et références
- ↑ Dominic Barter a commencé il y a 15 ans, en créant du lien avec les habitants des favelas, et conduit maintenant un projet pilote de justice réparatrice au Brésil avec le ministère de la justice et de l'éducation, projet soutenu par l’UNESCO. Ils ont été expérimentés et évalués au Brésil, dans 89 écoles, publiques ou privées, de 1000 à 4000 élèves, aussi bien avec des enfants, à partir de 5 ans, qu’avec des adultes. Les évaluations ont montré que là où des cercles sont actifs, on constate une réduction de 50 % du nombre de cas où les jeunes sont amenés devant un juge et que plus de 90% des conflits traités avec les cercles avaient été résolus à la satisfaction des personnes interrogées.
- ↑ « Une des voies à explorer, mais ça va vouloir dire un accompagnement des établissements scolaires, une formation réelle au niveau des chefs d’établissement, des CPE, mais aussi au niveau des personnels d’inspection, touche à tout ce qui est relatif à la justice réparatrice et restaurative. »Comment prévenir le harcèlement scolaire, Questions à Eric DEBARBIEUX, La revue de la Vie scolaire, n° 182, décembre 2011, pp 6-10.
- ↑ Ibidem
- ↑ Dans les systèmes restauratifs, on ne parle pas de victimes et de coupables, mais d’ « auteur de l’acte » et de « receveur de l’acte ».
- ↑ Ancienne institutrice formée à l’accompagnement psychothérapeutique centré sur la personne selon Carl Rogers et à la Communication NonViolente selon le processus de Marshall B. Rosenberg, Nathalie DARD anime depuis deux ans dans notre établissement le Cercle d'accueil, de rencontre, de réflexion et d'échange, un lieu sécurisé d’échange et de réflexion autour des pratiques et des difficultés professionnelles.
- ↑ Nathalie DARD et son mari Dieudonné DARD sont les personnes qui ont crée à Bordeaux le Groupe de pratique et de recherche sur les cercles restauratifs. Ils ont rencontré Eric DEBARBIEUX en compagnie de Dominic BARTER en juillet 2013 au Ministère de l’Education Nationale pour évoquer le recours aux Cercles restauratifs dans les cas de harcèlement à l’école.
- ↑ En dehors de Mme C., les élèves reçus n’ont pas désigné d’adultes comme étant nécessaires à la résolution du conflit. Aucun n’a désigné de parent par exemple.